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Les heures s’écoulaient, et ils continuaient inlassablement à écurer les petites villes balnéaires désertes. La nuit avait laissé place à un jour sale et glacé qui filtrait péniblement à travers les nuages plombés, poussés par un vent acide. D’Agosta écoutait sa radio d’une oreille morose, et les communications de la police n’étaient pas pour le rassurer. Personne ne parlait plus d’eux, et pas uniquement à cause du vol des diamants. Il ne faisait guère de doute à ses yeux que leurs poursuivants utilisaient désormais des canaux plus surs auxquels sa radio n’avait pas accès.
Ils étaient au bout du rouleau. À quoi bon poursuivre leur tournée des stations-service ? Après avoir fait le plein, Diogène n’avait plus de raison de s’arrêter. Quant aux informations obtenues à Yaphank. elles ne faisaient que confirmer ce qu’ils savaient déjà : son refuge se trouvait à l’est et Viola serait bientôt morte, D’Agosta avait mal au cœur pour son compagnon. Tout espoir était perdu, et Pendergast le savait.
Il refusait pourtant d’abandonner, s’arrêtant à tous les motels, visitant toutes les supérettes et tous les restaurants de nuit, au risque de se faire arrêter à tout moment.
Les rares informations glanées sur la radio n’étaient guère encourageantes. D’Agosta avait au comprendre que les fédéraux s’étaient joints à la poursuite, et la nasse se refermait lentement. De nouveaux barrages avaient été mis en place et tous les policiers étaient en alerte. Leurs poursuivants finiraient bien par apprendre qu’ils circulaient dans un pick-up. À moins que Pendergast ait un atout maître dans sa manche, ils étaient cuits.
La camionnette fit une embardée et D’Agosta s’agrippa à la poignée de toit. Sans raison apparente, Pendergast s’arrêta dans un crissement de pneus devant un Starbucks installé face à l’océan, au milieu d’une aire de parking.
Ils restèrent là un moment, sans bouger, bercés par le grésillement de la radio de D’Agosta. Apparemment, le vol des diamants faisait l’objet d’une conférence de presse retransmise en direct sur une chaîne publique.
— Jamais Diogène n’aura fait halte ici, finit par dire D’Agosta.
— À la vérité, je cherche un relais wifi, lui répondit Pendergast en démarrant son ordinateur portable. Je ne serais pas surpris que ce Starbucks en ait un. Il me suffira de m’y connecter pour accéder à Internet. Mon logiciel de reconnaissance physique est resté branché au Dakota. Voyons s’il a pu détecter quelque chose de neuf.
L’inspecteur se mit à pianoter sur son clavier sous le regard morne de son compagnon
— Vincent, auriez-vous la gentillesse d’aller chercher du café ? demanda-t-il sans lever les yeux.
D’Agosta descendit du pick-up et pénétra dans le Starbucks. Lorsqu’il revint quelques minutes plus tard avec deux gobelets, Pendergast avait refermé son ordinateur et s’était installé sur le siège passager.
— Du neuf ?
Pendergast secoua la tête et s’adossa à son siège en fermant les yeux.
D’Agosta poussa un soupir. Il fit le tour du pick-up et prit place derrière le volant. Au même moment, une voiture de patrouille apparut à l’autre bout dû parking. Elle ralentit en passant à leur hauteur et s’arrêta légèrement à l’écart.
— Merde, Ce con est en train de vérifier notre numéro, grommela D’Agosta.
Pendergast, immobile, les yeux clos, ne réagit pas.
— Cette fois, c’est foutu.
La voiture de patrouille venait de faire demi-tour et s’approchait d’eux.
Pendergast ouvrit les yeux.
— Donnez-moi ces gobelets et voyez si vous parvenez à leur échapper.
D’Agosta embraya aussitôt et démarra en direction de la route qui longeait la mer. La voiture de patrouille se lança à leur poursuite, sirène hurlante et gyrophare allumé.
Le pick-up fonçait à toute vitesse sur la routée du bord de mer lorsqu’une autre sirène se fit entendre, loin devant
— La plage, laissa tomber Pendergast en tenant les deux gobelets tant bien que mal.
— OK
D’Agosta enclencha les quatre roues motrices et donna un grand coup de volant. Le pick-up fit voler en éclats la bannière de sécurité, franchit un chemin de planches et s’envola littéralement avant de retomber sur le sable un mètre en contrebas.
Quelques instants plus tard, ils poursuivaient leur course sur la plage, à quelques mètres des premières vagues. Un coup d’œil dans le rétroviseur confirma à D’Agosta que les deux voitures de police l’avaient suivi.
Ça va être du sport, pensa-t-il, cramponné au volant.
Il appuya sur l’accélérateur, faisant gicler des gerbes de sable mouillé dans son sillage. Sur sa gauche s’étalait l’immensité désolée d’une réserve naturelle couverte de dunes. Il s’y précipita à plus de soixante à l’heure, sans s’inquiéter de la barrière en bois qu’il venait de démolir. Il ne savait pas où il allait, mais le mieux était encore de se diriger vers l’espace sablonneux, couvert de broussailles et de pins, qu’il apercevait quelques centaines de mètres plus loin, jamais ses poursuivants ne parviendraient à le suivre.
Du coin de l’œil, il vit Pendergast se cramponner à son siège.
Derrière eux, les deux voitures de police avaient dû s’arrêter car D’Agosta ne les voyait plus dans son rétroviseur. Le répit serait de courte durée car toutes les polices municipales du coin étaient équipées de buggies. Il le savait pour en avoir lui-même emprunté à plusieurs reprises, du temps où il faisait partie de la brigade de Southampton. S’ils voulaient s’en tirer, il allait leur falloir trouver un moyen de...
— Arrêtez-vous ! lui ordonna soudain Pendergast.
— Pas question, il faut...
— Arrêtez-vous !
Quelque chose dans la voix de son compagnon lui dît d’obéir. Il freina brutalement, le pick-up chassa par l’arrière et s’arrêta au pied d’une énorme dune. D’un geste, il éteignit les phares et coupa le moteur. Quelle connerie ! Les flics n’auraient aucun mal à les retrouver en suivant les traces de pneus dans le sable.
L’oreille collée à la radio, Pendergast ne perdait pas un mot de la conférence de presse qui se déroulait au Muséum.
... n’a jamais quitté son abri dans les coffres de la compagnie d’assurances du musée. Cette pierre était- bien trop précieuse pour être exposée au public, la compagnie d’assurances refusait d’en prendre le risque.
Pendergast se tourna vers D’Agosta, le regard brillant d’espoir.
— Voilà l’ouverture que j’attendais !
— Quelle ouverture ?
— Diogène a enfin commis une erreur, répondit-il machinalement en sortant son téléphone portable.
— J’aimerais tout de même que vous m’expliquiez...
— Je dois impérativement passer plusieurs coups de téléphone. À compter de cet instant, Vincent, je vous confie une mission vitale : nous ramener à Manhattan et…
De l’autre côté de la dune, un bruit de sirène interrompit Pendergast.